Par : Ahmad al-Sayyid `Ali
Chaque année, à l’approche de la fin du mois de Ramadan, alors que les gens s'apprêtent à verser la Zakât de fin du jeûne, les discussions vont bon train entre les musulmans quant à savoir s’il est licite de verser la Zakât en espèces ou non.
Nous aborderons ce sujet en détails, en espérant qu'Allah, exalté soit-Il, nous accorde la réussite :
Les Imams Mâlik, al-Châfi`i et Ahmad sont d'accord sur le fait qu’il est obligatoire de verser la Zakât en nature et sur le fait que la verser en espèces n’est pas valable. Ceci est l’avis prépondérant en la matière d'après les preuves suivantes :
1- D'après Ibn `Umar, qu'Allah soit satisfait de lui et de son père : «Le Messager d’Allah () a fixé la Zakât al-Fitr à un Sâ` de dattes ou d'orge, par musulman, qu'il soit esclave ou non, homme ou femme, jeune ou adulte, et il ordonna de la payer avant que les gens ne se rendent à la prière» (Boukhari et Mouslim)
Ils dirent que la Zakât est un moyen de se rapprocher d’Allah et un acte d'adoration obligatoire appartenant à un type de biens particulier ; la verser à partir d’autre chose que de ce type de biens particulier n’est donc pas valide, tout comme il n’est pas valable de la verser en dehors de son temps imparti.
2- Le fait de verser sa valeur est contraire à la pratique des Compagnons, qu'Allah soit satisfait d'eux, qui versaient un Sâ` de nourriture. Le Prophète () a dit : «Conformez-vous à ma Sunna ainsi qu’à celle des Califes bien guidés après moi». De même, Abû Sa`îd al-Khudry, qu'Allah soit satisfait de lui, a dit : «Du temps du Prophète (), nous la versions (Zakât al-Fitr) à mesure d'un Sâ' de nourriture, de dattes, d'orge ou de raisins secs.» (Boukhari)
3- Le Prophète () n'a pas fixé la valeur de la Zakât en argent. Si cela avait été permis, il l'aurait indiqué, car le besoin s’en serait fait sentir. Son silence est une preuve de son interdiction, car le silence au moment où l’on devrait expliquer une chose indique l'interdiction.
4- La règle générale stipule que l'on ne passe à un substitut d’une chose qu'en cas de l’absence de cette chose. De même, si le substitut vient à annihiler l’application de la solution de base, il ne peut alors être utilisé. Ainsi, si tous les gens versaient la valeur de la Zakât, son versement sous la forme des biens stipulés dans les hadîths deviendrait alors obsolète. Voilà pourquoi le substitut, qui est la valeur de la Zakât, invaliderait la solution de base, qui est le versement en nourriture, et est donc par cela invalide.
5- Cette opinion permet de concilier les avis contraires, ce qui est recommandé par les oulémas sur les sujets litigieux.
Objections et la façon d’y répondre :
Certains ont objecté certaines choses à cette opinion prépondérante, et nous citerons les réponses :
Premièrement : d'après Ibn ‘Umar, qu'Allah soit satisfait de lui et de son père, le Prophète () a dit : «Fournissez ce qui est nécessaire aux nécessiteux pour qu'ils n'aient pas besoin de mendier durant cette journée» [Sa`îd ibn Mansour, (Al-Albâni : faible)]
La réponse :
1- Le hadîth est faible
2- Il est vrai qu'il incombe de fournir ce qui est nécessaire aux pauvres, mais ce n'est pas le seul objectif de la Zakât. Al-Ghazâli, qu'Allah lui fasse miséricorde, a dit : «Les obligations de la Charia se divisent en trois catégories : celles qui visent la pure adoration d’Allah comme le jet des cailloux contre les Djamarât lors du Hadj, visant à manifester la soumission du serviteur à son Seigneur, une catégorie visant le bien des serviteurs et dont la raison humaine peut en déceler la sagesse comme le remboursement des dettes d'autrui; dans ce cas l'on s'acquitte de l’obligation en accordant son droit à l’endetté. La troisième catégorie est celle qui combine les deux : la part des êtres humain et l’examen du serviteur face à l’adoration d’Allah. Si la Charia le mentionne, il incombe de réaliser les deux objectifs, sans oublier l'essentiel qui est l'adoration. La Zakât est de ce type.»
Deuxièmement : Anas ibn Mâlik, qu'Allah soit satisfait de lui, a rapporté que lorsqu'Abou Bakr al-Siddîq, qu'Allah soit satisfait de lui, le chargea d’une mission au Bahraïn, il lui envoya cette missive : «Quiconque dispose d’un nombre de chameaux tel que la zakât sur ceux-ci s’élève à une jadh’a (chameau de quatre ans) mais qu’il ne l’a pas et a à la place une hiqqa (chameau de trois ans), il lui sera accepté de donner cette dernière avec deux brebis, ou qu’il donne vingt dirhams.» Ils dirent : «A partir du moment qu’il est permis de prendre une brebis pour compenser la différence d'âge des chameaux, il est également permis de payer l’équivalent en argent de ce qui devait être donner à la base».
La réponse : le Cheikh `Atiyya Sâlem, qu'Allah lui fasse miséricorde, a dit : «Ce récit ne prouve pas qu'il est permis de verser la valeur en espèces de la Zakât, mais la sentence cherche à éviter l'injustice, sans s'éloigner de la règle de base. En effet, il ne s’agit pas de payer la valeur de façon indépendante, mais de payer ce qu’on a effectivement, tout en remplaçant ce qui manque par autre chose. Si le fait de donner la valeur seule (des biens à donner) était licite, le Prophète () l'aurait explicitement autorisé, mais un tel acte n'est effectivement permis que si la nature de la Zakât requise fait défaut et si les biens exigés pour la Zakât al-Fitr font défaut, il sera permis de les remplacer par des substituts existants de même nature, mais pas de payer leur valeur, comme cela est clair».
Troisièmement : Tâwûs a rapporté que Mu’âdh, qu'Allah soit satisfait de lui, a dit aux Yéménites : «Apportez-moi des articles, autres que l'or et l'argent, soit des vêtements épais ou autres vêtements à titre d'aumône, au lieu de l'orge et du maïs, ce qui est plus facile pour vous et mieux pour les Compagnons du Prophète () à Médine. Il dit : 'Cela car les Yéménites étaient réputés pour la fabrication et le tissage des vêtements et cela était plus simple à verser pour eux, et en même temps les Médinois en avaient besoin'» (Boukhari). Ainsi, le but visé est de satisfaire les besoins sans qu'il n’y ait aucune différence en fonction de la nature des biens du moment que la valeur est la même.
La réponse : Ibn Hadjar a dit dans Fath al-Bârî : «La chaîne de transmission de ce récit est authentique jusqu’à Tâwûs, mais celui-ci n’a jamais entendu Mu’âdh ; c'est donc un récit avec une chaîne de transmission interrompue, et cette parole est celle de Tâwûs et non celle de Mu’âdh».
Quatrièmement : Allah, le Très Haut, dit (sens du verset) : «Prélève une aumône sur leurs biens» (Coran 9/103). Ils dirent : «Ce verset prouve que ce sont des biens qui sont prélevés et comme une valeur en argent est un type de bien, elle peut être comparée à ce qui est stipulé textuellement, et l’explication du Prophète () précisant des types particuliers de biens n’a pour but que de faciliter les choses, et non pas de restreindre l'obligation.
La réponse : la Sunna explique les sens du Coran. Le Prophète () a stipulé des biens de nature précise et l’opinion autorisant à verser la valeur de ces biens s'opposent au texte et s'écartent du sens de l'adoration d’Allah.
Cinquièmement : ils ont fait l’analogie entre la Zakât de fin du jeûne de Ramadan à la Djizia que l’on prélève aussi bien en nature qu’en argent.
La réponse : c'est une analogie erronée, car la Zakât de fin du jeûne de Ramadan comporte un sens d'adoration d’Allah et est liée à l'un des piliers de l'Islam. Quant à la Djizia, elle est une sanction imposée aux dhimmis qui la payent en toute humilité et ce qui est prélevé d’eux suffit pour réaliser le but, tandis que la Zakât est un acte d'adoration et un moyen de se rapprocher d'Allah, et non simplement une taxe.
Allégations et réfutations :
Certains suscitent certains doutes autour du fait de verser Zakât al-Fitr en nature afin de pouvoir la verser en argent :
Premier argument fallacieux : les uns estiment que les pauvres ont besoin de vêtements pour la fête, ce qui les pousse à verser la Zakât en argent pour que les pauvres puissent acheter des vêtements pour eux-mêmes et pour leurs enfants.
Réponse : de nombreux Compagnons, qu'Allah soit satisfait d'eux, étaient pauvres et avaient un vif besoin de vêtements. La preuve la plus évidente est qu'Abû Hurayra, qu'Allah soit satisfait de lui, a rapporté que quelqu’un demanda au Prophète () s'il était permis de faire la prière en portant un seul vêtement. Le Prophète () lui répondit en disant : «Est-ce que chacun d’entre vous possède deux habits ?» (Boukhari). De même, le Prophète () a dit à celui qui voulut épouser la femme qui s’était proposée en mariage au Prophète : «Qu'as-tu à lui offrir à titre de dot ?- Je ne possède que mon propre pagne
- Si tu le lui offres, répondit le Prophète, tu resteras sans pagne» [Al-Tirmîdhi, (al-Albâni : Sahîh)]
Malgré cette pauvreté extrême, sans équivalent actuellement car le pauvre possède à présent plus d'un vêtement, le Prophète () n'a pas recommandé à ses Compagnons de leur donner de l'argent afin d’acheter des vêtements pour la fête, bien que l'argent ait été disponible. Or, le Prophète () a renoncé au don d'argent bien que les pauvres aient eu besoin d'habits et que ceux qui payaient la Zakât aient disposé d’argent, et que rien n'ait empêché le Prophète () de verser cette aumône en argent. Tout cela prouve que le renoncement au don d'argent est donc la Sunna et que celle-ci consiste au versement en nature.
3- Nous demandons aux adeptes de cette opinion : «Que feront les pauvres au cours de la fête al-Adhâ ? Comment obtiendront-ils les habits de la fête ? Or, si vous payiez au pauvre le prix de l'offrande - ce qui est interdit d'après la Charia -, il pourrait acheter des habits pour lui-même et pour ses enfants car le prix de la bête de sacrifice est beaucoup plus élevé».
4- Nous leur disons : «Pourquoi réduisez ce qui est souple et sujet à une certain largesse ?» En effet, celui qui paye la Zakât peut appliquer la Sunna en versant la Zakât en nature, puis faire une aumône d'argent ou d'habits.
Second argument fallacieux : quand les Zakâts sont présentées en nature, le pauvre disposera de grandes quantités qu'il sera obligé de vendre pour profiter de leur prix.
La réponse : la Zakât est prélevée sur la nourriture la plus répandue chez les habitants du pays, et susceptible d'être pesée et stockée comme le riz, et personne ne peut se passer de la nourriture principale. Même si quelqu’un en a en grande quantité, il peut le stocker et ne sera pas obligé de le vendre à bas prix, et lorsque les gens sont en possession de leur subsistance, ils sont rassurés.
Il nous incombe donc de nous conformer à la pratique du Prophète () en versant la Zakât en nature et de nous abstenir de la verser en espèce, surtout après avoir réfuté les objections et les arguments fallacieux invoqués en la matière et qui ne tiennent pas face aux preuves textuelles et rationnelles. Et Allah est le garant du succès.